La Ballerine de Kiev : quand l'art fait la guerre
Critique littéraire / La ballerine de Kiev - Stéphanie Perez
Le 24 février 2022, comme des millions d’Ukrainiens, le destin du couple de danseurs étoiles de l’Opéra national de Kiev, Svitlana et Dmytro, bascule lorsque la Russie attaque leur pays. Dmytro décide de s'engager dans l'armée, laissant sa femme seule et démunie dans un pays sonné par une guerre à laquelle personne ne croyait. Au milieu des corps mutilés et des familles déchirées par les attaques russes, Svitlana se demande si rechausser des chaussons de danse a encore un sens. Dans un pays à feu et à sang, quelle est la place de la culture, et quel rôle joue-t-elle dans la résistance ?
Après Le Gardien de Téhéran, Stéphanie Perez puise à nouveau dans son expérience de grand reporter pour France Télévisions. Durant les deux années qu’elle a passées en Ukraine, elle a été témoin des atrocités russes et a recueilli des dizaines de témoignages d’Ukrainiens vivant au rythme des bombardements et des sirènes d’alarme. Stéphanie Perez nous livre ici un ouvrage nécessaire, puissant et émouvant.
Bien que La Ballerine de Kiev soit un roman, la plume de Stéphanie Perez est marquée par son expérience de journaliste sur le terrain, témoignant des horreurs qu’elle a vues ou entendues. Ses mots sont crus, percutants, et peignent une réalité glaçante. Ce regard journalistique imprègne son écriture et lui donne un charme singulier, conférant au récit une force particulière, notamment dans les descriptions saisissantes des corps mutilés et de la détresse psychologique qui hante les habitants de ce pays ravagé par la guerre depuis plus de deux ans.
Cependant, l’autrice semble quelques fois peiner à se détacher complètement de son premier métier avec des dialogues qui manquent parfois de réalisme et se perdent dans des envolées lyriques en décalage avec le récit. Mais ces petites maladresses sont largement compensées par la qualité de la narration, où la plume de Stéphanie Perez semble virevolter avec la même grâce que son personnage principal. La musique occupe une place centrale de l’histoire et son champ lexical, comme celui de la danse, est parfaitement intégré, créant un contraste saisissant avec les descriptions brutales des abominations russes.
Ce contraste entre la cruauté de la guerre et les fresques poétiques joliment exécuté par l’autrice en fait un témoignage vibrant de la résilience d’une population qui se bat pour son pays à tous les niveaux. Le roman soulève des questions essentielles, telles que l’importance de la culture en temps de guerre et son pouvoir d’union et d’apaisement d’une population à la recherche de répit. La question de Tchaïkovski et de son boycott est particulièrement marquante. L’interdiction par le gouvernement ukrainien de représenter "Le Lac des cygnes", le célèbre ballet russe, suscite un débat dans la troupe de danseurs : la culture et ses icônes ne transcendent-elles pas les frontières et les conflits ?
"La Ballerine de Kiev" est un deuxième roman bouleversant et profondément humain dont on pardonne facilement les quelques maladresses au regard du travail remarquable de Stéphanie Perez. Grâce à son courage et à son engagement, l’autrice-journaliste signe un livre très réussi.
Pour ma part, j’ai dévoré ce roman en quarante-huit heures et versé quelques larmes en chemin…
La Ballerine de Kiev, Stéphanie Perez disponible aux éditions Récamier