Hyperfixation(s)
Chroniques garanties sans spoil
Je suis incapable d’apprécier raisonnablement quelque chose sans en être complètement obsédé. Pour illustrer (littéralement) mes propos : l’algorithme de TikTok étant la plus grande menace sur notre société depuis Gérard Depardieu, j’ai découvert l’aquarelle via une Tiktokeuse américaine qui peignait depuis son loft californien. Un like plus tard et j’étais immergé dans le AquarelleTok jusqu’au cou. En pleine épiphanie, aux doux sons de cloches de la nouvelle passion naissante, je me suis précipité à Rougier & Plé dans le but de faire l’acquisition des fournitures nécessaires à l’exercice de cette nouvelle passion qui, j’en était persuadé à l’époque, se traduirait par une exposition signée de mon nom au Louvre et la fin de la carrière de Claude Monet. Il n’était donc pas question d’acheter n’importe quoi. J’ai commencé directement avec du matériel professionnel en y laissant un rein et demi au passage. Résultat des courses ? Une semaine plus tard, l’algorithme m’avait déjà introduit au jardinage et ma pauvre peinture Caran d’Ache est en train de sécher dans la cave pendant que je mesurais le taux d’humidité de mon ficus (paix à son âme).
En exclusivité mondiale, voici la culmination de mon talent d’aquarelliste :
TW : La chose la plus terrifiante de votre vie
Je n’ai aucune explication valable à vous apporter. Pourquoi ces formes phalliques ? Je ne sais pas. Qu’est-ce que ça représente ? Je ne sais pas non plus. Je n’ai même pas le souvenir d’avoir peint ça. La seule explication plausible est que j’ai été victime de possession.
Pourquoi cette introduction et pourquoi vous exposer au traumatisme induit par cette immondice ? J’ai été une fois de plus victime de mon hyperfixation en ce début de mois avec la (re)découverte de Philippe Besson, découvert en 2022 avec “Arrête tes mensonges”. J’avais beaucoup aimé sans pour autant aller plus loin dans sa bibliographie car à cette période je ne lisais que presque exclusivement des livres anglo-saxons, complètement influencé par le BookTok US/UK aux recommandations un peu plus variées qu’en France où on y croisait seulement les cinquante nuances de “Captive” et autres “romances”…
J’ai donc commencé “En l’absence des hommes” et *bruitage d’explosion*.
L’intrigue nous plonge au cœur des beaux quartiers de Paris en pleine première guerre mondiale (pas celle de 78). Vincent de l’Etoile, jeune homme issu de la bourgeoisie parisienne découvre son homosexualité avec le fils de la domestique, mobilisé dans les tranchées. Dans sa tristesse, il se lie d’amitié avec un certain Marcel Proust, alors son aîné d’une trentaine d’années.
Lecteurs anglophones ! Ce livre est similaire dans sa structure à “In Memoriam” d’Alice Winn. Si vous ne l’avez pas encore lu, réparez ce tort quam primum, c’est mon livre #1 de l’année dernière.
Nous suivons Vincent avec l’insouciance et l’insolence caractéristiques des jeunes hommes bien nés. Au fur et à mesure du roman, cette innocence est ternie et le protagoniste prend en maturité malgré lui... A mi-chemin entre le coming of age novel et le roman épistolaire, j’ai été très touché par le personnage très attachant et un peu rebelle de Vincent. Sa manière d’assumer totalement son homosexualité, à une période où même le microcosme culturel parisien était réactionnaire, avait quelque chose d’attendrissant.
J’ai enchaîné avec “Un soir d’été” (Julliard), un petit voyage sur l’Île de Ré des eighties avec Philippe Besson et ses amis. Lors de leurs aventures estivales, un évènement mettra fin abruptement à leurs idylles adolescentes. Masterclass d’immersion littéraire, l’auteur prend soin à décrire le normal d’une façon qui lui est propre. Ici, pas d’enjolivement à l’excès à la façon des auteurs bourgeois idéalisant la vie du “petit-peuple” mais pas de dramatisation sordide non plus. On est plongés simplement dans la vie d’une famille de la classe moyenne provinciale. Une petite capsule temporelle qui pourrait presque faire office d’étude anthropologique…
Toujours pas rassasié de ma faim de Philippe Besson (hein ? quoi ?), j’ai lu “Retour parmi les hommes” (Pocket), la suite de “En l’absence des hommes”. Tout aussi bon voire meilleur que le premier. On y retrouve Vincent des années plus tard. Je n’en dirai pas plus pour ne pas vous spoiler. ;)
La cerise sur le gâteau de ce périple bibliographique dans l’univers de Philippe Besson fut “Un certain Paul Darrigrand” (Pocket), un récit retraçant les années étudiantes de l’auteur. Dans ce roman autobiographique de cent vingt pages, ce dernier partage son aventure compliquée avec un camarade de classe marié à une femme et son propre combat contre une grave maladie. Bouleversant, j’ai particulièrement apprécié le refus de réduire à une vision dichotomique la situation vécue par les personnages. Bien qu’il aurait été facile de tomber dans le manichéisme, l’auteur a su habilement nuancer ses personnages.
Adolescent, les livres de Philippe Besson m’auraient sûrement été d’une grande aide. Après en avoir lu cinq, qui ne représentent qu’une petite partie de son oeuvre, j’y retiens la représentation parfaite, réaliste et naturelle de l’homosexualité. Dans ses histoires, les personnages ont une vie, des histoires, des amis, des amours, et parfois… ils sont gays aussi. Le fait de préférer les hommes ne les définissent pas dans leur totalité. Ce n’est qu’un détail dans toute la complexité de leurs êtres. Et ça, dans un monde littéraire où les personnages homosexuels sont souvent voués à la souffrance et au malheur, c’est rafraichissant et nécessaire.
La plume de Besson brille par sa poésie et sa simplicité. Bien que la prose soit irréprochable, le texte est d’une limpidité dont beaucoup d’auteurs français pourraient s’inspirer. Je reproche souvent à la littérature française de pratiquer une forme de masturbation intellectuelle en surchargeant ses écrits de vocabulaire pompeux au détriment d’une lecture fluide. Ce n’est pas le cas ici, avec moins de 200 pages, vous viendrez à bout de la plupart des romans de Philippe Besson en une soirée. Alors rendez-vous service, allez dans la librairie indépendante la plus proche de chez vous, et choisissez un de ses livres. J’en attendrai des nouvelles.





Voilà sûrement une des reviews les plus élogieuses que j'ai pu lire sur un auteur ! Je n'ai encore jamais lu de ces livres, par lequel me recommandes-tu de commencer ?